Du côté de Niort, de Fontenay, de Luçon, les royalistes étaient rassemblés ; Diot et Robert, à la tête de leurs bandes organisées, étaient sortis des forêts des Deux-Sèvres pour servir de noyau au soulèvement. Ils sont signalés aux chefs des cantonnements militaires, qui se rassemblent, marchent sur la paroisse d'Amailloux, battent les paysans et arrêtent un grand nombre de gentilshommes et d'officiers démissionnaires qui s'étaient donné rendez-vous dans cette paroisse et accouraient au bruit de la fusillade.

Des arrestations semblables avaient été faites dans les environs du Champ-Saint-Père ; le poste du Port-la-Claye avait été attaqué, et, bien qu'en raison du petit nombre des assaillants cette attaque eût été repoussée, l'audace et la vigueur avec lesquelles elle avait été conduite ne permettaient pas de l'attribuer seulement aux réfractaires.

Sur l'un des prisonniers du Champ-Saint-Père, on découvrit une liste de jeunes gens qui devaient former un corps d'élite.

Cette liste, ces attaques faites sur divers points à la même heure, ces arrestations de gens connus pour l'exaltation de leur opinion devaient mettre l'autorité sur ses gardes et lui faire considérer comme sérieux les dangers dont, jusque-là, elle ne s'était garantie qu'avec faiblesse.

Si le contre-ordre n'était point parvenu à temps dans quelques localités de la Vendée et des Deux-Sèvres, on comprend que, dans la Bretagne, dans le Maine, provinces encore plus éloignées que le Marais et le Bocage du centre d'où partait la direction, l'étendard de la guerre civile avait été ouvertement arboré.

Dans la première de ces provinces, la division de Vitré s'était battue, avait même remporté un succès aux Bretonnières en Bréal, succès éphémère qui, le lendemain, à la Gaudinière, se changeait en désastre.

Gaullier, dans le Maine, ayant aussi reçu le contre-ordre trop tard pour arrêter ses gars, livrait, de son côté, à Chaney, un combat sanglant qui ne dura pas moins de six heures, et, en outre de cet engagement, sérieux, comme on le voit, les paysans, qui, sur certains points, n'avaient pas voulu rentrer chez eux, échangeaient presque chaque jour des coups de fusil avec les colonnes qui sillonnaient les campagnes.

On peut hardiment l'avouer, le contre-ordre du 22 mai, les mouvements intempestifs et isolés qui s'ensuivirent, le manque d'entente et de confiance qui en devint la conséquence, firent plus pour le gouvernement de juillet que le zèle de tous ses agents réunis.

Dans les provinces où on licencia les divisions rassemblées, il fut impossible de réchauffer plus tard l'ardeur que l'on avait laissée refroidir ; on avait donné aux populations insurgées le temps de se compter et de réfléchir : la réflexion, souvent favorable aux calculs, est toujours fatale aux sentiments.

Les chefs, s'étant eux-mêmes désignés à l'attention du gouvernement, jurent aisément surpris et arrêtés lorsqu'ils rentrèrent dans leurs demeures.

Ce fut pis encore dans les cantons où les bandes parurent en ligne : les paysans, se trouvant abandonnés à leurs propres forces, ne voyant pas venir les diversions sur lesquelles ils comptaient, crièrent à la trahison, brisèrent leurs fusils et regagnèrent, indignés, leurs loyers.

L'insurrection légitimiste avortait à l'état d'embryon ; la cause d'Henri V perdait deux provinces avant d'avoir déployé son drapeau ; la Vendée allait rester seule engagée dans la lutte ; mais tel était le courage de ces fils des géants, que, comme nous allons le voir, ils ne désespéraient pas encore.

Huit jours s'étaient écoulés depuis les événements que nous avons racontés dans le chapitre précédent, et, pendant ces huit jours, le mouvement politique qui s'était produit autour de Machecoul avait été si puissant, qu'il avait entraîné dans son orbite ceux de nos personnages que leurs passions avaient semblé en distraire le plus complètement.

Bertha, un instant inquiète de la disparition de Michel, s'était montrée tout à fait rassérénée lorsqu'elle l'avait vu revenir près d'elle, et son bonheur s'était traduit avec tant d'expansion et de publicité, qu'il avait été impossible au jeune homme, à moins de trahir la promesse faite à Mary, de ne pas paraître, de son côté, heureux de la revoir.

Au reste, les occupations qu'elle trouvait près de Petit-Pierre, les détails infinis de la correspondance dont elle était chargée, absorbaient tellement les moments de Bertha, qu'ils l'empêchaient de remarquer la tristesse et l'abattement de Michel et l'espèce de contrainte avec laquelle il se prêtait à la familiarité que les habitudes masculines de la jeune fille autorisaient vis-à-vis de celui qu'elle considérait comme son fiancé.

Mary, qui avait rejoint son père et sa sœur, deux heures après avoir laissé Michel dans l'îlot de la Jonchère, continuait à éviter toute occasion de se trouver seule avec Michel. Lorsque les obligations de leur vie en commun les mettaient en présence l'un de l'autre, elle s'ingéniait, par tous les moyens possibles, à faire ressortir aux yeux de Michel le charme et les avantages de sa sœur ; lorsque ses yeux rencontraient ceux du jeune baron, elle le regardait avec une expression suppliante qui lui rappelait doucement et cruellement à la fois la promesse qu'il avait faite.