A la Mothe-Freslon, tout près du Champ Saint Père
Bourg que vous connaissez, j’espère,
Un soir douze seigneurs, gais vivants, grands amis,
Devant un bon repas, à table s’étaient mis.
C’était Buor de la Mulnière
Lescours, de Béjarry, Bernon, la Marronnière,
Et sept buveurs fameux dont les noms sont omis
Dans le vieux manuscrit qui cite les cinq autres.
On les nommait les douze apôtres.
Ils avaient d’un accord commun,
Ne sachant trop quel parti suivre, résolu de n’en suivre aucun.
Ils préféraient banqueter, rire et vivre
Le plus gaiement possible, allant tantôt chez l’un
Tantôt chez l’autre, à tour de rôle,
Passant un mois dans chaque endroit,
Trouvant, comme c’était leur droit,
L’existence ainsi bien plus drôle.
Peut-être qu’un esprit étroit
Pourrait les accuser d’un excès d’égoïsme.
Mais dans ce temps, le vrai patriotisme
Auquel tout bon Français est maintenant tenu,
N’était pas encore connu.
C’est un sentiment tout moderne
Que fit germer la REVOLUTION
Dans le cœur de la nation
Quand elle mit au fond de la giberne
De tout soldat droit égal
Au bâton de maréchal.
Donc nos douze seigneurs n’ayant de préférence
Pour aucun des partis qui, plein d’acharnement,
Se disputaient alors la France,
En attendant que quelque événement
Vint les tirer de leur indifférence
Et faire pencher la balance,
Passaient leur vie à festoyer gaiement.
Il s étaient d’humeur folâtre,
Pendant que les bons mets et les vins capiteux
Venaient s’entasser devant eux
Et qu’un grand feu flambait dans l’âtre.
Voilà que, tout à coup, au milieu du festin,
Et tandis que chacun boit, rit, chante ou plaisante,
Un jeune étranger se présente.
Il a grande mine, air hautain
Pourpoint usé par la cuirasse,
Chapeau gris dont le bord se relève avec grâce
Orné d’un long panache blanc,
Epée au côté, dague au flanc.
« Messieurs, dit-il en entrant, je demande
L’Hospitalité pour ce soir ».
-« Soyez le Bienvenu ! Mais la règle commande,
Avant de vous laisser parmi nous asseoir
De s’assurer si vous êtes bien digne
De cette faveur très insigne. »
-« Et que dois-je faire ? Ordonnez ! »
-« Nous sommes tous buveurs déterminés,
Et pour entrer dans notre troupe
Il fut d’abord vider cette petite coupe. »
La coupe était, sans nulle exagération,
Large comme une assiette à soupe
Et profonde à proportion ;
Et jusqu’au bord elle était pleine.
L’inconnu la saisit et, d’un air triomphant,
Disant : »Ce n’est que jeu d’enfant ! »
Il la vida d’un trait et sans répondre haleine.
« Bravo ! firent, émerveillés
Nos douze apôtres. Mais veuillez
Nous dire votre nom, si ce n’est un mystère ».
-« Messieurs, permettez, moi justement de le taire.
Vous le saurez vive Dieu ! mais plus tard
Et, comme tant parler, altère
A boire ! je ne suis ni félon, ni bâtard,
Et vous pouvez sans nulle injure
Trinquer avec moi, je le jure ! »
Et bientôt le festin reprit
Une animation nouvelle ;
Les joyeux propos où l’esprit
Des gais convives se révèle
Se croisèrent de tous côtés.
Ensuite l’on parla de guerre, de tactique
Et des malheurs du temps et de la politique,
Du roi qui de ses chiens s’est enfin dégoûté.
On fit une critique amère
Des actes de la Reine-Mère
« Jeune inconnu, n’auriez-vous pas été
A VIMORY , ce combat si vanté ? »
-« Vous voulez plaisanter sans doute.
Belle victoire, en vérité !
Grand honneur de mettre en déroute
Un troupeau de valets et de palefreniers
Qui pour drapeau portaient fièrement une longe
Une étrille avec une éponge. »
Chacun de rire : »Oh ! Oh ! vous reniez
Le Balafré ! Vous tenez donc, jeune homme,
Pour le parti des excommuniés.
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